Sous la pluie
J'aime beaucoup regarder les
dessins de Blitz'Art, gothiques, plein d'humour, peuplés de
chauves-souris et de squelettes. Ambiance Halloween, Pirates des
caraïbes, ou Tim Burton....
Son dernier dessin m'inspire une petite histoire fantastique et horrifique.
- Parfois, je me dis que je devrais ouvrir un blog pour mes textes qui
ne sont pas érotiques, mais la paresse l'emporte, je préfère tout
regrouper au même endroit ^^
***
Les festivités d’Halloween s’achevaient, les créatures de la nuit rentrèrent chez elles.
Les vampires reposaient à nouveau dans les cercueils de la crypte, les
squelettes avaient regagné le cimetière, les démons les entrailles de la
terre, les loups-garous la forêt… Le château retrouva son calme et son
silence pesant, à peine troublé par les hululement lugubres du fantôme
qui parcourrait sans fin les lieux, des oubliettes au grenier - il
habitait là. Il se retrouvait seul, avec pour unique compagnie une
araignée aventureuse qui avait élu domicile dans son drap. Il n’avait
pas eu le cœur de la chasser, ils s’entendaient bien tous les deux, même
si ça lui donnait un look un peu négligé. Plus personne n’était là pour
le voir de tout façon. Le fantôme errait tristement, ses amis lui
manquaient, surtout une certaine sorcière.
— Miaou !
Le
fantôme interrompit ses déambulations, saisi. Les miaulements semblaient
provenir du rez-de-chaussée… Il s’envola dans un claquement de draps
vers les escaliers. Le vaste vestibule, lieu de fête démoniaque il y a
quelques jours encore, était à présent désert, il avait retrouvé sa
couche de poussière, à peine marquée par les pattes légères d’un chat.
La sorcière avait oublié son chat noir ! A moins qu’elle ne l’ait laissé
à dessein peut-être, émue par la solitude du fantôme ? Comment savoir !
Le fantôme avait tenté de la convaincre de s’installer au château avec
lui, mais elle s’était envolée sur son balai, prétextant une réunion de
sorcières, ou l’arrivée de la pleine lune, ce n’était pas clair.
Le chat fit le dos rond et vint se frotter contre son drap. Contre toute
attente, le fantôme gloussa, chatouillé, avant de se reprendre
vivement. Il était censé hurler ou, à la rigueur, geindre ; tout le
reste n’était pas convenable. Mais après tout, il n’y avait personne,
qui s’en offenserait ? Il se laissa aller au fou rire, chatouillé par la
douce fourrure du chat qui s’électrisait à son contact.
Le
fantôme finit par s’envoler, hors de portée. Si ça continuait, il allait
tomber à la renverse, son drap se retournerait et on verrait tout ! Il
n’avait aucune envie de montrer ce qui se cachait sous son drap, même à
un chat ! Il ne devait plus avoir la silhouette de sa jeunesse... Il
n’aimerait pas devoir se promener tout nu comme les squelettes, c’était
indécent !
Il fit les honneurs de son château au matou,
traversant avec fierté d’innombrables salles de réception, des chambres
grandioses, des couloirs interminables, des passages secrets…
Le
chat s'ennuyait de rester cloitré entre quatre murs, il se fit
clairement comprendre en rebroussant chemin. Il se posta devant la porte
d’entrée et miaula de plus belle. Il veut sortir, se lamenta le
fantôme. Il n’était plus allé dehors depuis des siècles. Il n’avait pas
aimé son excursion : le vent soulevait son drap, et il avait ressenti la
puissante attraction de son château, il s’y était rapidement réfugié,
soulagé. Mais il n’était plus seul ! Il se sentait prêt à réitérer
l’expérience, avec son araignée curieuse et ce chat de gouttière. Il
s’éclipsa le temps de trouver un vieux parapluie, car évidemment, il
pleuvait. Chaque goutte de pluie représentait un seau d’eau pour son
araignée, mieux valait ne pas prendre de risque.
Le fantôme
commandait aux portes, aux fenêtres, aux boiseries... à tout ce qui
meublait son château. Il ouvrit la porte et s'envola à l'extérieur,
poussant des hou hou de victoire. Des nuages noirs s’amoncelaient à
l’horizon, la pluie tombait à verse. Fichu météo écossaise ! Il risqua
un bout de drap hors du parapluie, histoire de vérifier si ça se calmait
– que nenni ! Et pour tester la sensation aussi, curieux. Il sentit son
drap se mouiller, coller. Il n’avait aucune envie de jouer à Mister
fantôme au drap mouillé ! Il ramena vivement son drap à l’abri. Mais
soudain, une bourrasque plus forte que les autres retourna son
parapluie, il fut instantanément trempé jusqu’aux os ! Ah non, tiens, il
n’avait pas d’os… Le fantôme avait oublié ce qui se cachait sous son
linceul, depuis le temps. En fait, rien. Son âme se glaça. Pour en avoir
le cœur net, il se débarrassa de son drap et s’offrit à la pluie. L’eau
dessina les contours de son corps évanescent, l'évocation de ce qu’il
fut autrefois : le seigneur de ce château dans toute sa splendeur !
Enfin, le souvenir de sa splendeur… Mais seuls le chat et l’araignée
étaient là pour le contempler. L’araignée était d’ailleurs fâchée, elle
avait été éjectée sans ménagement, elle s’était rattrapée de justesse
aux poils du chat, lequel s’était abrité sous l’auvent de l’entrée. Il
se promènerait plus tard, ça tombait dru.
Le seigneur du château ramassa son drap et rejoignit ses amis.
— Rentrons !
Il ressentit aussitôt une grande paix d’être revenu entre ces murs
séculaires. Les expéditions, très peu pour lui, c’était vraiment pour
faire plaisir au chat.
Il alluma une grande flambée dans la
cheminée et disposa son drap sur le dos d’une chaise pour le faire
sécher. Il hésitait à le remettre. Sans lui, tous ses souvenirs
affluaient, terribles, tristes ou heureux, il était quelqu’un à nouveau,
un être souffrant, pensant, avec une histoire. Renfiler son drap,
c’était tout oublier à nouveau, ne pas voir passer le temps, ne pas
souffrir, vivre un présent immuable, à peine distrait par l’araignée qui
tissait sa toile comme elle pouvait dans ses plis. Où était-elle au
fait, cette petite ingrate ?
Sur la tête du chat ! Ils avaient
l’air parfaitement satisfaits, et le seigneur du château l’était aussi,
par ricochet. Il s’assit dans un fauteuil hors d’âge, une pipe se
matérialisa dans ses mains.
Il venait de réussir un rond de fumée
parfait, assorti à son corps brumeux, quand le lourd battant de la porte
d’entrée retentit.
Le fantôme sursauta ; vite, son drap !
Damned, il était toujours trempé. Contrarié, il se résolut à ouvrir
malgré tout, bien décidé à faire fuir ces gêneurs en leur faisant une
peur bleue ; on allait rire !
D’un bond, le chat fut à ses côtés,
miaulant de contentement. Sur le seuil, se tenait sa maîtresse, la
belle sorcière aux cheveux flamboyants.
La sorcière marqua un
temps, était-ce bien là son ami, ce si beau seigneur fantomatique ? Elle
le considérait avec des yeux émerveillés. Le fantôme se réjouit
d’apparaître en noir en blanc, car il se sentait rougir jusqu’aux
oreilles.
Il s’inclina bien bas.
— Bienvenue en mon château, mon amie ! Tu es revenue car tu as oublié ton chat ?
— Non, fit-elle en rougissant.
Elle était faite de chair et de sang, ça lui jouait des tours. Elle s'éclaircit la gorge.
— Je suis partie le temps de préparer un sortilège... Très puissant, ce
ne fut pas simple, tu peux me croire, mais j’ai réussi avec l’aide de
mes sœurs.
— Quel sortilège ? s’enquit le fantôme, curieux.
— Te rendre la vie ! Et ensuite, j’accepterai ta proposition de vivre
avec toi dans ce château perdu, si elle tient toujours.. je ne veux pas
renoncer aux plaisirs terrestres, tu comprends ?
Le fantôme
n’avait jamais été aussi heureux de toute sa mort ! Il voulut la prendre
dans ses bras, mais il ne réussit qu’à se fondre en elle, et en fut
émoustillé de partout. Oui, retrouver son corps de jeune homme et
l’aimer avec vigueur !
Il accepta avec reconnaissance.
- Las, elle débutait sa formation de sorcière, quelque chose ne fonctionna pas, le fantôme se retrouva zombie.
Mortifiée et confuse, la sorcière voulut bien tenir sa promesse et
cohabiter malgré tout, mais il fallut renoncer aux plaisirs de la chair.
Dieu merci, le seigneur avait conservé son intelligence, une chance !
Elle s’en félicita, et se replongea aussitôt dans ses grimoires et ses
livres de sortilèges dans l’espoir de corriger son erreur.
Mais
son zombie ne voulut plus entendre parler de nouveau sortilège, heureux
comme ça, malgré ses chairs nécrosées et pourries, et les attaques
d’asticots. L’araignée faisait ce qu’elle pouvait pour lutter contre
cette vermine et grossissait à vue d’œil, contente elle aussi, à sa
place, suspendue à l’une des oreilles gangrénée du seigneur - elle avait
clairement gagné au change.
Ils vécurent heureux tous, et
eurent beaucoup de petites araignées. Les années passèrent, ponctuées
par les festivités d’Halloween et les retrouvailles entre monstres.
Cependant, la sorcière vieillissait et se désolait de devoir bientôt
abandonner son zombie. Elle regagna son laboratoire et s’abîma dans ses
livres à la recherche du sortilège idéal. Voyons, souhaitait-elle
devenir zombie ou fantôme ? Elle pesa le pour et le contre, et choisit
de devenir zombie elle aussi ; au moins elle serait en chair et en os
comme son bien-aimé, en espérant que les asticots ne la grattent pas
trop. Et en espérant surtout que son sortilège marche, cette fois !
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